Le choc Jancovici

Je ne connaissais pas vraiment Jean-Marc Jancovici. C’est au 77e congrès de l’Ordre des Experts-comptables que j’ai appris qu’il était le père du bilan carbone. Et puis j’ai assisté à sa conférence, bougonne, jamais brouillonne, brillante.
JMJ nous explique à nous, experts-comptables, qu’il ne faut pas compter que des euros, mais aussi des choses que nous avions appris à ne pas compter, les ressources naturelles. Nous partons du principe (JMJ parle même d’axiome) que les ressources ne coûtent rien, qu’elles sont là indéfiniment. Par exemple, un terrain en comptabilité ne s’amortit pas.
La crise de l’énergie nous oblige à changer de paradigme. Car qu'est-ce que l’énergie ? Ce sont des ressources que nous puisons dans la terre (dans le cas des énergies fossiles) ou la force des éléments à laquelle nous nous abreuvons, mais pas directement, à l’aide de machines. Plus d’énergie, c’est plus de machines. Vu du point de vue d’un extra-terrestre, qu’est-ce qu’un expert-comptable ? Quelqu’un qui donne des instructions à une machine. Par le truchement des machines, nous avons multiplié notre puissance sur Terre en moyenne de 200 fois. Pour un Français, il faudrait 600 esclaves pour assurer ses tâches quotidiennes, 1500 pour les Français les plus aisés. Pour réduire notre consommation d’énergie de 5 %, il faut un Covid, ce qui représente bien plus que 5 % de baisse en termes de PIB. Selon JMJ les objectifs de réduction de gaz à effet de serre sont largement incompatibles avec un objectif de croissance puisque la croissance est fonction de l’énergie elle-même fonction de l’augmentation des émissions de CO2.
Toutefois l’épuisement des ressources fossiles en énergie devrait inexorablement nous forcer à réduire notre consommation en énergie et partant le recours aux machines.
Tout cela m’a pas mal donné à réfléchir. Une question éminemment économique se pose : sommes-nous sûrs d’employer les ressources à bon escient ? Par exemple, en termes de production administrative, les moyens informatiques utilisés pour produire des fiches de paie sont-ils raisonnables ? Quand on pense que l’éditeur de fiches de paie leader en France, Silae, a été acheté pour 600 millions de dollars, cela laisse songeur. Les possibilités de calcul, presque démiurgiques, des machines ont permis au législateur de se laisser aller à une complexification extrême des lois, des règlements, des conventions. S’il fallait produire à la main ce qui n’est somme toute que le règlement d’un dû pour un travail accompli, si l’on voulait revenir à quelque chose de commensurable à un esprit et à une main humaine, il faudrait bien simplifier.

Bulletin de salaire de janvier 1964 d'un installateur TV (source : Wikimedia)

La facture électronique promet le même déferlement technologique avec toutefois une différence de taille la possibilité pour une entreprise de numériser au-delà de sa facture les moyens les plus efficaces possible de se faire payer, chose rarement garantie dans un monde analogique, à tout le moins si l’on tient compte du niveau de confiance et d’éthique général actuel.
La question énergétique ne manque également pas d'interroger dans le domaine des industries culturelles. L’émergence puis la suprématie audiovisuelle n’est pas sans conséquence sur la consommation de bande passante, le volume des données stockées dans les data centers. Le livre imprimé offre un dispositif énergétiquement neutre, neutre aussi, « positivement neutre » même en matière de construction d’imaginaires — sans compter l’impact décisif sur la formation des esprits, de la faculté de juger en tant qu’humain et tant que citoyen.

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